au commencement

LÉGÈRETÉ INNOCENTE

J'étais là quand mes parents m'ont conçu, un peu dispersé c'est sûr, mais potentiellement là : une question de secondes. Conscient de la gravité de l'instant pour moi, je leur ai demandé de se concentrer sur ce qu'ils faisaient.
M'ont-ils entendu ? J'en doute. Ils semblaient emportés dans un autre monde, tout à leur bonheur, tout à leur échange à deux, ignorant complètement les conséquences de leur acte, sourds à mes attentes et à mes peurs...

Extrait de La Vie en raccourcis, Ed Clapas 2002

Guy

Mes parents sont lorrains. Mon père, aîné d'une famille de sept enfants, quitte l'école à neuf ans. Ouvrier agricole, faute de trouver la conduite d'une exploitation agricole, il s'installe avec celle qui sera ma mère en région parisienne en 1931 et travaille aux chemins de fer, au début comme chauffeur de locomotive puis préposé aux manoeuvres des trains. Ma mère, enfant, réussit bien à l'école primaire et désire être institutrice, mais son père paysan, qui n'a que deux filles pour travailler aux champs, ne veut pas qu'elle poursuive des études après le "certificat d'études" En plus de son métier, mon père, conseillé par ma mère, apprend celui de courtier en placements. De plus, il pratique le jardinage. Il meurt jeune : à quarante sept ans, en 1951.


Guy

J'arrive au monde en 1934, j'ai déjà une sœur née en 1932. J'aurai un frère en 1939. Je suis élevé dans la religion catholique. Je fais mes études primaires à Bobigny. En 1944, je suis le seul de ma classe à aller en sixième à Pantin aux "cours complémentaires" : je commence à prendre l'autobus seul. On trouve parfois les transports en commun dans mes textes et le mépris de la société pour le bétail humain (Les espaces perdus d'Antoine, Editinter 2006). En 1948, premier de ma classe de troisième, je rentre en classe de seconde au collège Chaptal, Paris, métro Rome : j'apprends le métro. Je vis mal cette année et la suivante. Je ne suis pas comme les autres, en général de la bonne société. Je ne comprends pas grand chose au cours de français : le professeur se délecte de "le crime de Sylvestre Bonnard" d'Anatole France - il y est question d'un chat. C'est peut-être ce qui explique le titre de mon texte "Anatole et son chat" ("J'ai laissé mourir le soir", EDSGP 1979, puis Editinter 2000 et 2009)?

Guy

En I950, j'entre à l'Ecole Normale d'Instituteurs d'Auteuil, après un concours difficile - en ce temps-là. Je suis sauvé. J'ai en particulier un professeur de lettres qui m'ouvre à la littérature : Georges Hyvernaud. Beaucoup plus tard, après sa mort en 1985 j'aurai l'honneur et le plaisir de participer à la promotion du grand écrivain méconnu qu'il était, et de dire tout ce que je devais au professeur. Au cours de la première année, mon père meurt. Bon en mathématiques - comme beaucoup de bons élèves qui n'ont pas de bain culturel classique chez eux - j'espérais préparer l'Ecole Normale de Saint-Cloud.L'administration de l'EN, malgré mes très bons résultats, me déconseille vivement de poursuivre des études, vu ma situation de famille. Mais, avec l'appui de celle-ci, je réussis à obtenir une année spéciale à Chaptal en 1951, pour la préparation du bac Mathélem (mathématiques élémentaires). Nous sommes cinq normaliens à bénéficier de cette chance et nous ne décevons pas. En juin, je suis reçu à l'écrit mais j'échoue à l'oral pour une question de math - sur une partie du cours, la mécanique, sur laquelle mon prof de maths a fait l'impasse. Curieusement, celui-ci, présent alors sur les lieux, et qui connait bien ce qu'il a traité en cours, me dit ne pouvoir intervenir...(Plus tard, dans les jurys de passage des élèves ou étudiants à la classe supérieures, je m'opposerai au prétexte des conditions familiales pour refuser le passage). Je ne peux plus prétendre préparer Saint-Cloud : une condition est d'être reçu en juin ! Après mon succès au bac de septembre, avec mention, je retourne donc à l'Ecole Normale pour deux années de formation professionnelle. Je suis peut-être finalement gagnant : pendant deux ans, j'abandonne les mathématiques et je dévore les livres de la bibliothèque. Dostoïevski devient mon auteur préféré.

Je m'initie à l'enseignement : les débuts sont difficiles, je suis paralysé par tous ces yeux qui me regardent, ces enfants qui attendent de moi je ne sais quoi mais beaucoup. Je m'initie à la psychologie : de l'enfant, de l'adolescent, de l'animal. Je m'initie à la politique ; deux camps s'affrontent : les communistes et les catholiques. Je participe à un journal "Comprendre, Réfléchir, Agir" de tendance plutôt socialiste, en réaction contre les communistes. J'écris un article - très moralisant - pour protester contre l'utilisation du mensonge prônée par Lénine comme arme contre la classe bourgeoise. Je vais écouter un SFIO défendant la CED. Plus tard, j'adhérerai au PSU à la fois à Bobigny où je milite avec des chrétiens de gauche et à la fac des Sciences de Paris. Ce qui ne m'empêchera pas de participer aux actions du PC pendant la guerre du Vietnam. Mon enfance et mon adolescence sont le prétexte de mon livre Les espaces perdus d'Antoine, Editinter, 2006. J'ai commencé à l'écrire dans les années 80.



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